Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/28

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jours nourrir ceux qui y sont ; car si véritablement la substance y manque, ils vont ailleurs ou meurent. On ne peut donc parler que des localités où l’on existe à peu près, c’est-à-dire en vivant mal, en ne mangeant pas à sa faim, en ne buvant pas à sa soif, en n’étant pas couvert selon la saison, en n’ayant enfin ni feu ni logis. Certes, cela se voit tous les jours, et c’est réellement ce que nous entendons par misère et pauvreté. Mais cela vient-il du pays ? Si, par accident ou caprice, une masse d’hommes s’agglomère sur un point où la nourriture ne puisse arriver en proportion des besoins de chacun, ou bien où il ne reste plus d’espace pour donner aux bras les mouvemens nécessaires au travail, il est certain que la misère y apparaîtra ; mais il y a folie à s’entasser quelque part, à y étouffer, quand il y a place ailleurs. Si la terre ne suffisait plus aux hommes, cet entassement s’expliquerait ; mais personne n’ignore qu’il n’est pas un seul état de l’Europe dont le territoire ne puisse nourrir ses habitans, et ceux qui s’en éloignent, sont déterminés moins par le défaut d’espace que par l’inconstance naturelle à l’homme ou par l’espoir de choses nouvelles.

La France a, en superficie, 53,000,000 d’hectares, dont 40,000,000 sont cultivables. Il y en a 22,800,000 de cultivés ; le tiers suffirait pour nourrir ses 33,000,000 de régnicoles et le million d’étrangers qui s’y arrêtent annuellement. Ce n’est donc pas le manque de terrain qui y cause la misère, c’est la médiocrité de la culture qui fait que 3 hectares ainsi travaillés rapportent moins qu’un seul qui le serait bien ; c’est le mauvais emploi des produits, c’est la consommation par les animaux de ce qui devrait l’être par les hommes ; c’est la présence de ceux qui, sans avoir, veulent vivre sans travail. Dans tous ces élémens de misère, l’excès de la population n’entre pour rien, et son entassement sur les mêmes points pour peu de chose. Dans l’état de la société actuelle