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tel, qu’elle influe : je veux parler des armées permanentes et des levées d’hommes qui servent à les alimenter. Déjà nous avons présenté la guerre comme une source de ruine et de désordre ; mais la paix armée n’en produit pas moins, car les habitudes d’oisiveté qu’elle laisse au peuple ne le quittent plus. Les années que le jeune soldat passe au régiment, années inutiles pour sa fortune, puisqu’il n’y économise rien et n’apprend pas grand’chose, sont précisément celles qu’il aurait employées à se perfectionner dans son métier et à devenir maître. Quand avec son congé il revient chez lui, il a oublié sa profession, ou il en a perdu le goût, et il la dédaigne ; il veut être gendarme, douanier, garde-champêtre, et il aimerait mieux encore n’être rien et rester fainéant. S’il peut obtenir aucun de ces emplois, pressé par la faim, il reprend forcément son état ; il le fait mal et il est probable qu’il ne le fera jamais mieux. Le voilà donc médiocre ou incapable, et par conséquent pauvre pour toute sa vie, et avec lui la femme qu’il unit à son sort. La conscription agit donc essentiellement sur l’avenir et le bien-être de la famille.

Peut-être même ce triste résultat du retour du soldat s’est-il déjà fait sentir à son départ, car l’absence d’un fils suffit pour désorganiser l’atelier de son père ; et voilà une famille, une génération peut-être, qui de l’aisance passe à la misère. Ceci est un grand mal dans un gouvernement, quel qu’il soit.

En reconnaissant que la levée des jeunes soldats a ses inconvéniens et qu’ils sont graves, nous ne voulons pas dire qu’il faille en France se passer d’une force militaire, et qu’alors que toute l’Europe a le glaive nu, nous puissions le remettre dans le fourreau. D’ailleurs, cette conscription si dommageable pourrait elle-même être une source d’aisance, si nos casernes devenaient des colléges pour l’éducation du peuple, ou des ateliers pour son apprentissage au travail, si la bourse du soldat s’augmentait