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Le petit Savoyard qui danse et chante dans la rue, pourquoi le fait-il ? C’est qu’il a vu qu’ainsi il obtenait plutôt un sou ou un morceau de pain, qu’en l’attendant couché sur la borne ; c’est qu’il a compris que sans peine il n’y a point de salaire ; il s’efforce donc d’amuser le passant qui, s’il y parvient, devient son débiteur. Le chant et la danse de cet enfant sont une bien faible industrie, mais c’en est une ; tout inutile qu’elle est, elle vaut cependant mille fois mieux que la paresse et l’oisiveté. Si vous êtes humain ne donnez donc jamais à un enfant qui demande, sans exiger quelque chose en retour, ne fût-ce qu’un travail d’un quart-d’heure, un petit service, ou toute autre tâche aisée : cela lui fera connaître les principes de l’échange, le droit d’un labeur et le profit qu’il en doit tirer.

On ne peut qu’applaudir à ces peuples chez qui chaque mère ne donnait à déjeuner à son fils que lorsqu’il l’avait mérité. Sans doute elle lui rendait ce mérite facile. Pourquoi ne ferions-nous pas ainsi ? Pourquoi n’inculquerait-on pas au plus petit enfant, qu’il doit compter sur lui avant de compter sur les autres ? Pourquoi, dans nos colléges comme dans nos maisons, ne lui ferions-nous pas acheter son pain par un léger travail manuel ? Pourquoi encore, sous notre régime d’égalité, tout enfant ne naîtrait-il pas ouvrier, comme il naît soldat ou écolier ? Pourquoi ne gagnerait-il pas sa journée ou ne croirait-il pas la gagner ? Cela le conduirait à des habitudes d’ordre et de prévoyance. Convaincu qu’il ne peut conserver son indépendance, sa vie même, que par un effort quelconque, il ferait cet effort, et dans tout le reste de sa carrière soigneux de l’avenir, utile à lui-même, il le serait encore à l’ensemble, ne fût-ce que par son exemple.

Le premier homme, ou si l’on veut, le premier riche, n’a eu que ses bras et la possibilité de travailler ; tout avoir, toute opulence part de là, il faut que chacun l’apprenne et ne l’oublie pas. Du préjugé contraire, c’est-à-