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où il y a deux deniers il en gagne un, mais rarement il le sollicite en pur don, ou s’il le fait, s’il mendie, c’est pour cacher d’autres projets ; bref, ce denier il le gagnera toujours par un travail, un calcul, une opération quelconque ; aussi avec l’extérieur de la misère, dans le pays le plus fécond comme dans le plus stérile, le Juif vit, économise, entasse, il est rarement pauvre et presque jamais mendiant, du moins, par état et par besoin. Pourquoi ne l’est-il pas ? C’est que personne ne lui donne ; les Chrétiens, parce qu’il est Juif, et les Juifs parce que leur religion ou leurs préjugés le leur défendent ; chacun, chez eux, doit vivre de ses efforts, de son travail, et il en vit.

Ils s’entr’aident en secret, dit-on. C’est vrai, mais jamais gratis ; ils ne font pas la charité, ils la prêtent ; l’aumône entr’eux, n’est qu’une transaction, une assurance mutuelle ; enfin, à ses co-religionnaires comme à l’étranger, un Israélite ne donne rien pour rien. Il a raison jusqu’à un certain point, car à donner mal, personne ne gagne, pas même celui qui reçoit.

L’Arabe, le Bédouin ne fait pas l’aumône, il ne la demande pas ; il offre ou accepte un présent. Là, chacun conserve sa dignité d’homme, c’est encore un échange, une spéculation réciproque ; celui qui a reçu est tenu de donner à son tour, soit en nature, soit en service. Le donateur a fait une espèce de placement ou de dépôt, pour le montant duquel il peut tirer à vue sur l’obligé. Quant au voyageur, au vagabond si vous voulez, il l’admet à sa table, il le fait manger de son pain, goûter de son sel. C’est pour lui, non pas seulement une bonne œuvre et une charité, mais un devoir. L’étranger, il n’y a pas d’autre pauvre en Arabie, ne réclame même pas la permission de s’asseoir ; il voit qu’on dîne, il a faim, il vient prendre sa part du repas comme il irait au puits s’il avait soif. Encore ici, l’homme est respecté : il n’y a pas orgueil d’un côté, il n’y a pas bassesse de l’autre. Cela vaut