Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/7

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du luxe comme une exception, si nous envisageons la misère d’une manière absolue et où on la voit ordinairement, c’est-à-dire dans les besoins corporels, le vêtement, le logis, le boire, le manger ; en la résumant même dans cette dernière nécessité, le pain, puisque, c’est le manque de pain qui chez nous la représente le plus positivement ; eh ! bien, sans sortir de ce cercle matériel, de cette misère animale, il est jusque dans l’inanition et aussi dans l’abondance ou la réplétion, un aiguillon d’avenir qui fait qu’après avoir mangé aujourd’hui on songe qu’il faut manger demain ; qui fait encore qu’on veut manger demain mieux qu’aujourd’hui, et que le but ou la nature du besoin se modifie, change et s’étend à mesure qu’on y pourvoit. Ainsi, dans la faim seule avec sa prévoyance, on peut trouver la source, le développement et les degrés de tous les désirs et de toutes les ambitions.

Et remarquez que la puissance des êtres et leur intelligence peut croître avec la force de leurs besoins, parce que la volonté d’y subvenir est toujours proportionnée à leur énergie. Ainsi avec le courage et la raison ou encore le désir et la persévérance, l’être se mettra à la hauteur, non-seulement de ce qui est nécessaire, mais de ce qui lui est agréable.

Sans cette possibilité et ce calcul, l’insouciance étoufferait le caprice comme le besoin. C’est cette absence de désir ou de crainte qui, produisant le manque de prévoyance, fait la misère réelle et crée les pauvres dans tous les pays.

La peur de la misère est ce qui détruit la misère, et cette crainte ne peut venir que des exemples des maux qu’elle engendre ou de leur prescience. Si la misère est un mal, son absence totale, ou la persuasion qu’elle ne peut exister, ou encore l’oubli de cette possibilité en serait un aussi, car il en résulterait une apathie complète et avec elle la destruction de toute prudence, de