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tout amour du travail, de tout raisonnement, de tout savoir. Il est donc heureux que les besoins existent et que l’homme soit tenu d’y pourvoir. Il est heureux aussi que ces besoins se renouvellent et que du plus grossier, de la faim, puissent émaner des désirs et des nuances qui diversifient les idées, même les volontés ; il est utile enfin qu’à mesure que le nécessaire abonde, le superflu nous tente.

En vain on dira que si la misère est dans les besoins, où il y en aura moins il y aura moins de misère. En d’autres termes : si les besoins amènent la pauvreté, le goût du superflu, ajoutant aux besoins, doit par conséquent accroître la misère. Répondons à ceci.

Le désir du superflu serait un mal sans doute, s’il précédait celui du nécessaire, et l’on cherchait l’un avant de s’être assuré l’autre. Il y en a des exemples, mais ils sont exceptionnels. Un homme sans vêtement et mourant de froid ne s’occupe point ordinairement de la couleur de l’étoffe qu’on lui présente, de la finesse de la trame et de la beauté des dessins : l’habit le plus chaud et le plus à sa portée est à ses yeux le meilleur ; il ne choisit pas, car il songe à ne pas mourir et non à se parer. Mais le contraire arrivât-il, et le goût du superflu engendrât-il la pauvreté, elle ne serait qu’éventuelle, le mal serait pour l’individu, non pour l’ensemble. Je m’explique :

Plus l’homme est brut, moins il a de besoins, parce qu’il n’a que ceux de la nature. Les besoins naturels ne sont point nés de la réflexion, ils viennent seuls, et sont l’effet de notre matière, de nos organes, de notre conformation. La soif du superflu, au contraire, est la suite d’une comparaison, d’un calcul. Selon que les besoins sont plus épurés, plus raffinés, l’homme est certainement plus policé, plus instruit. Il ne faut donc pas détruire le goût du superflu, quoiqu’il puisse augmenter la misère, parce qu’il excite en même temps