Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/20

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Je sors dans l’intention d’aller dîner au restaurant. J’entre dans trois de ces établissements sans y trouver place. Assez désappointé, j’allais retourner à l’hôtel, quand, passant devant un restaurant à deux francs cinquante centimes au passage de l’Opéra, l’idée me vint d’y entrer. Grand bien m’en prit. Il était rempli à comble ; toutefois j’y trouvai un coin de table. Voilà ce qu’on m’y servit pour deux francs cinquante centimes : une bouteille de vin, un potage, une oreille de veau, du saumon, du homard, un plat de dessert, le tout fort bon et en portion suffisante. Le même dîner, dans un restaurant de premier ordre, m’aurait coûté dix francs, sans valoir mieux. Paris est curieux par ses contrastes, disons aussi par sa vanité : bien des gens, et moi comme les autres, dépensent un demi-louis pour dîner mal, de peur d’être vu dînant bien à trois francs.

La nuit venue, je reviens sur les boulevards. J’entre dans un café et me fais servir une glace pour avoir droit à une chaise. Assis dehors, je jouis d’un spectacle qui, probablement, n’a pas son second au monde, et qui ici se renouvelle chaque soir : c’est celui des boulevards de huit à onze heures. Quelque riche que soit une illumination, elle n’aura jamais cette variété, ni surtout cette étendue qui va de la place de la Concorde à celle de la Bastille. Remarquez aussi que les illuminations d’apparat ne nous montrent pas ces boutiques, ces magasins étincelants de lumières et de richesses. Elles ne nous feront pas voir non plus ces brillants équipages, ces cavaliers, ce mouvement incessant et toujours nouveau qui se déroule sous nos yeux comme un vaste tableau magique. Nulle autre capitale, ni Londres même,