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moment qu’ils allaient en venir aux mains. Le plus ou moins de mérite de telle vis, de tel écrou, de tel ressort, de telle qualité de rail et de fer leur remuait si bien la cervelle qu’elle semblait avoir déraillé : ils déraisonnaient à qui mieux mieux. Dans un moment lucide, ils voulurent me prendre pour arbitre. Je les remerciai de l’honneur qu’ils me faisaient, et me gardai bien d’accepter : donner raison à l’un, c’était risquer de me faire étrangler par les autres. Je leur répondis donc que j’étais trop peu au fait de ces questions pour me prononcer, mais que, quelqu’importantes qu’elles pussent être, je n’y voyais pas un motif pour se brouiller ; qu’au contraire, il me semblait préférable de les étudier ensemble et de les résoudre s’il se pouvait. Ils comprirent, et si la dispute continua, on y mit moins d’aigreur : l’on ne cria plus si fort et l’on s’entendit mieux. Les bonnes raisons ne gagnent rien à être hurlées, et les mauvaises n’en deviennent pas meilleures.

Arrivés à Amiens, ils me quittèrent à ma grande satisfaction, et j’appris la cause de leur désaccord : c’étaient quatre mécaniciens qui venaient concourir pour une même place.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les concours mettent les gens aux prises, et le premier date de loin. Ce fut une femme, Eris ou la Discorde, qui le proposa d’abord, et trois autres qui se présentèrent pour concurrentes : une pomme était la prime, car les médailles n’étaient pas inventées. C’est une vieille histoire que tout le monde connaît et que je ne cite ici que pour mémoire.

Lorsque la reine des amours
Junon et Minerve la sage,