Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/72

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officier-général qui pensait être encore au camp ou au bivouac, mais quelque chose de théâtral dans ses gestes et dans son ton donnait aussi à deviner que ce pouvait être une célébrité parlementaire, quelque grand homme du jour infatué de son succès de la veille. Tranchant sur toutes les questions, il ne ménageait personne. Il avait déjà rabroué d’une manière assez peu courtoise deux de ses voisins, gens âgés, à l’air respectable, qui avaient manifesté une opinion contraire à la sienne, et qui, quoiqu’ils eussent parfaitement raison, avaient supporté sans mot dire son outrecuidance. Mais il n’en fut pas ainsi d’un troisième individu qu’il voulut traiter de même à l’occasion d’une observation qu’il fit sur la liberté de l’Italie, question qui préoccupait alors tout le monde : celui-ci, pour réponse, lui envoya sa carte, ajoutant qu’après son dîner, il aurait l’honneur d’aller lui demander la sienne.

Le personnage qui avait agi ainsi était assis près de moi : c’était un homme de bonne mine, parlant bien français, mais qu’à son accent j’avais reconnu pour Italien. La chose pouvait devenir sérieuse, car dans la conversation il m’avait dit qu’il était militaire et avait fait la dernière campagne. Si l’homme au ruban l’était aussi, un duel était imminent. Quoique l’un et l’autre me fussent également étrangers et que le premier m’eût souverainement déplu, je regrettais qu’ils allassent se couper la gorge pour une simple divergence d’opinion et des mots sans portée, car en définitive, il n’y avait eu dans leurs paroles aucune injure directe ou personnelle : rien n’annonçait qu’ils se connussent même de nom. Je dis à mon officier ce que je pensais, et que