Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/73

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puisqu’il avait le beau rôle, il devait le garder et attendre à son tour celui qu’il avait provoqué. Il n’était pas trop de cet avis, mais je l’y amenai en lui disant que je ne quitterais la table qu’avec lui, c’est-à-dire pas avant que l’autre se levât ; qu’alors il se lèverait à son tour, et que nous verrions si son adversaire l’attendrait ou battrait prudemment en retraite.

Ce fut, comme d’ailleurs je m’y attendais, ce qui arriva : la bravoure est rarement le fait de ces faiseurs d’embarras. Ce type-là n’est pas unique, et j’ai plus d’une fois rencontré des gens de cet acabit. Je n’aurais pas parlé de cette affaire fort insignifiante, si je n’en avais pas, comme on le verra bientôt, retrouvé le héros.

Après déjeûner, je me mets en promenade. Turin n’est pas une ville nouvelle pour moi, mais j’aime à revoir ce que j’ai vu. La première personne que je rencontre est la petite valseuse du bal d’Aix, qu’accompagne toujours son père. En vérité, si j’eusse été plus jeune et que ce père, cet oncle ou ce tuteur fût un jaloux, un Bartolo, il aurait pu croire que j’étais quelqu’Almaviva à la poursuite de sa Rosine. Probablement la même pensée vint à la jeune fille, car elle se mit à rire, à quoi je répondis par une grande salutation que son cavalier me rendit avec la même civilité.

Le domestique qui me conduisait me fit remarquer la statue nouvellement érigée à Gioberti, le défenseur de la liberté italienne. Les passants la saluaient, je fis comme eux. Elle ne me rendit pas mon salut, comme celle du commandeur à Don Juan, mais elle me rappela un de mes anciens camarades qui vit peut-être encore