Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/92

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parlé ? S’il essaya de le faire, ce ne fut que lorsqu’Ève parut : encore à quoi bon, si, ne parlant pas elle-même, elle ne pouvait le comprendre ? Aussi s’exprima-t-il d’abord par gestes qu’il accompagna peut-être de quelques cris. Ces cris, assez peu agréables, comme on peut en juger par ceux de nos sourds, n’étaient guère propres à plaire à sa compagne. Il le comprit bientôt en entendant les oiseaux déployer leurs plus riches accents pour attirer et retenir la leur : il s’efforça de les imiter.

La première langue de l’homme, tout l’annonce, fut donc le chant, d’où naquit l’art du poète, lequel art n’est qu’un dérivé de celui du musicien : Orphée a précédé Homère.

Cette prose emmiellée que nous appelons poésie et pour laquelle nous tressons des couronnes, ne serait donc de fait qu’une harmonie bâtarde, qu’un chant émasculé qui n’est à la vraie musique, à cette langue primordiale, que ce qu’est le rauque et sourd piaulement d’un chapon à la voix retentissante du coq. Aussi, nous représente-t-on ordinairement les saints et les bienheureux, non pas récitant et moins encore déclamant les louanges du Seigneur, mais les psalmodiant. Les séraphins, les anges, les archanges ne parlent pas non plus : ils chantent. Est-ce le contre-point, la fugue ou le plain-chant ? C’est ce que je ne puis vous dire, mais ils donnent à leur voix toute sa sonorité. Nos anges gardiens, dont une des vertus doit être la discrétion, ont seuls le don de la parole et la faculté de nous donner à l’oreille quelques bons conseils que, malheureusement, nous n’écoutons pas, mais que nous écoutons moins encore lorsqu’ils nous les chantent.