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UNE DE PERDUE

— Oui, parceque je ne puis vous sauver, lui répondis-je avec une agonisante expression de désespoir.

— Plus d’espoir !

— Plus rien !…

— Eh bien ! dit-elle, avec une énergie dans sa voix qui me surprit, s’il faut mourir, mourons ensemble !

« Et se levant, elle vint s’asseoir près de moi. À la pluie fine avait succédé une neige épaisse et molle, qui tombait en larges flocons.

« Une espèce de torpeur morale et d’anéantissement physique avait succédé à l’énergie que j’avais déployée tant que j’eus quelqu’espoir ; j’en fus brusquement tiré par un bruit, qui me parut étrange et que je ne distinguai pas bien d’abord. J’écoutai. C’était les hennissements d’un cheval à une distance peu éloignée. Je courus voir ce que c’était. La neige qui tombait toujours large, épaisse, silencieuse m’empêchait de distinguer ; mais je crus reconnaître mon cheval. Je l’appelai par son nom. Le noble animal se mit à hennir… Oh ! comme mon cœur palpita. La glace sur laquelle je me trouvais descendait toujours, et le pauvre animal suivait en marchant sur la lizière du glaçon opposé, qui paraissait arrêté ; j’entendais le bruit de ses fers. Je me serais jeté à la nage, si j’eusse su nager, avec Éléonore dans mes bras. J’appelai encore mon cheval le caressant de la voix. J’entendis comme un corps qui plongeait, et bientôt je pus distinguer une masse noire qui luttait contre les flots. C’était lui, mon cheval ! Il essaya de monter sur la glace où j’étais. Ses pieds glissaient, et l’impétuosité avec laquelle nous étions emportés ne lui permettait pas de se soutenir. Je l’aidai de tous mes efforts mais en vain ; il n’avait