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« L’esprit critique, dit-il, est la marque propre de ce temps. Notre génie, appliqué aux conceptions générales, a produit au dix-septième siècle et au dix-huitième siècle les grandes œuvres de haute culture littéraire et scientifique qui sont comme la bible du monde pensant. Aujourd’hui il s’exerce sur les infiniment petits. Aux synthèses engageantes et hardies ont succédé les analyses patientes et rigoureuses. La gloire qu’un Newton, qu’un Laplace a due à la découverte du système du monde, la science moderne la trouve dans l’examen des imperceptibles phénomènes de la vie. Le ciron, « ce raccourci d’atômes », ne suffit plus à ses recherches. Elle a pénétré dans les abîmes de petitesse qui frappaient d’admiration, presque d’épouvante, l’imagination de Pascal ; elle travaille à en faire sortir les lois de l’existence et de la mort. La même transformation s’est accomplie pour tous les ordres d’études. Ce que le microscope du savant étudie jusque dans les dernières fibrilles de la chair et dans les globules du sang, l’œil scrutateur du philologue, de l’épigraphiste, de l’historien, cherche à le découvrir dans le tissu de la langue, dans les linéaments des textes, dans les moindres organes des mœurs et des institutions. On ne se contente plus des observations de sentiment, on se défie des lumières de l’imagination ; on ne méconnaît pas ce qu’elles ont de juste dans leurs élans, d’heureux dans leurs intuitions, mais on les soumet à la rigueur de la critique scientifique ; on décompose, on analyse, on passe tout au creuset ; on veut voir, on veut toucher. Les lettres comme les sciences veulent avoir leurs instruments de précision. Et en même temps qu’une riche pépinière d’habiles praticiens et de solides professeurs, ce qui se forme à cet enseignement c’est une école de jeunes savants. »

Les lignes suivantes de Claude Bernard sont le complément de ce que dit Gréard : —

« Le laboratoire est la condition « sine qua non » du développement de toutes les sciences expérimentales. L’évidence de cette vérité amène et consacre nécessairement une réforme universelle et profonde dans l’enseignement scientifique ; car on a reconnu partout aujourd’hui que c’est dans le laboratoire que germent et grandissent toutes les découvertes de la science pure, pour se répandre ensuite et couvrir le monde de leurs applications utiles. Le laboratoire seul apprend les difficultés réelles de la science à ceux qui le fréquentent. Il leur montre en outre que la science pure a toujours été la source de toutes les richesses réelles que l’homme acquiert et de toutes les conquêtes qu’il a faites sur les phénomènes de la nature. C’est là une excellente éducation pour la jeunesse, parce qu’elle seule peut bien faire comprendre que les applications actuelles si brillantes des sciences ne sont que l’épanouissement de travaux antérieurs et que ceux qui profitent aujourd’hui de leurs bienfaits doivent un tribut de reconnaissance à leurs devanciers qui ont péniblement cultivé l’arbre de la science sans le voir fructifier. »