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Page:Bouchette - Robert Lozé, 1903.djvu/115

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ROBERT LOZÉ

sans secousse, comme un vaisseau fantôme, entre les splendeurs du ciel et la phosphorescence des flots. À bord, personne ne parlait, on se laissait paresseusement bercer. Les yeux d’Irène prenaient une expression rêveuse et elle se rapprochait de son fiancée par besoin de sympathie dans cette espèce d’extase…

— Regrettez-vous encore les saccades de la machine à vapeur, lui demanda Jean qui l’observait ?

— Non, vraiment. Vive la voile pour nous faire rêver au paradis.

— Il est déjà tard, fit Alice. Venez, chère Irène. Laissons ces messieurs achever leurs cigares et allons nous coucher.

Ils voyagèrent ainsi pendant plusieurs semaines, côtoyant la rive sud d’abord jusqu’à la Gaspésie. Puis ils passèrent au nord en touchant à l’Anticosti, pays jadis redouté, mais dépouillé de ses légendaires terreurs depuis qu’il a surgi toute une famille d’artistes dans le vieux phare de la Pointe-sud et qu’à l’endroit où le pauvre vieux sorcier Gamache mourut seul et sans secours, une colonie florissante et hospitalière accueille le voyageur.

Ils s’arrêtaient où il leur plaisait, pêchaient le bar, la morue et le homard, fixaient avec le kodak les paysages et mille détails qui formeraient l’album des souvenirs.

Toujours ils faisaient escale aux phares, pour causer avec les gardiens hospitaliers et leurs familles, contempler les épaves singulières parfois recueillies en ces lieux, murmurer une prière sur la tombe de quelque marin obscur et oublié, mais surtout pour recevoir par le télégraphe des nouvelles du fameux bébé que, malgré la distance, Alice tenait ainsi au bout d’un fil. Souvent aussi ils débarquaient et erraient dans les bois des journées entières.

Oh ! la charmante promenade ! Oh ! la douce intimité du bord, où l’on apprend si bien et si vite à se connaître et à