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ROBERT LOZÉ

son caractère, dont la noblesse inconsciente, révélait dans ses traits, son attitude et sa démarche cette beauté idéale qui inspire les grandes amours et les belles actions.

Qu’on n’aille pas croire que toutes ces réflexions soient celles de la jeune fille au moment dont nous parlons. Elle s’amuse au contraire franchement, comme il convient, au bal, et ne se livre pas à la moindre analyse. Elle forme le centre d’un groupe joyeux où se font présenter militaires, marins, étrangers. Ces hommages cosmopolites l’intéressent et remplissent son carnet de signatures variées. Mais elle s’inspire sans s’en rendre compte de la scène qui se déroule sous ses yeux, et quelque chose de cette exaltation paraît en elle. Aussi, de toutes celles qui passent ce soir-là devant le dais vice-royal, aucune n’est plus remarquée que cette grande jeune fille, gracieuse et calme dans sa toilette blanche, aux yeux brillants sous le diadème de bandeaux d’ébène qui lui ceint le front.

Cette vision frappe les yeux de Lionel, jeune Anglais nouvellement débarqué et encore étranger au pays. Il a jusqu’ici assisté à la fête plutôt en observateur qu’en figurant. Sans uniforme, sans position officielle et surtout sans fortune, il est naturellement peu remarqué, quoique digne de l’être. Aux avantages physiques s’allient chez lui l’expression et l’attitude d’un gentleman. Il est aussi, apparemment, de prompte résolution, car se tournant aussitôt vers madame X.

— Madame, dit-il, faites-moi donc présenter, je vous prie, à la jeune fille qui vient de passer.

— Un autre aurait commencé par demander son nom, mon cher Lionel, répond la dame en riant. Mais vous avez bon goût et Lucienne est radieuse ce soir.

Peu après, les deux jeunes gens causaient une valse sur le bastion du Roi. Bien loin au-dessous d’eux, à la douce clarté de la lune, s’étend la nappe d’argent de notre beau