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Page:Bouchette - Robert Lozé, 1903.djvu/17

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Robert Lozé

pouvaient bien avoir en commun des gens qui gagnaient leur vie par le travail de leurs mains et un collégien, un étudiant, un futur monsieur.

Oh ! Ce mot, monsieur, comme il le fascinait. Jeter sa défroque de campagnard, endosser la redingote et le chapeau de soie, revenir dans sa paroisse natale pérorer avec une éloquente condescendance devant ceux qui furent jadis ses égaux. Il les voyait quelquefois ces heureux de la terre, daignant distribuer des poignées de main et des sourires. Il les avait entendus débiter avec emphase, dans ce qui lui semblait le plus beau langage, des choses qu’il ne comprenait pas bien encore, mais admirables sans aucun doute ; où les mots sonores et les sentiments patriotiques revenaient à chaque phrase. Être un jour monsieur le candidat, monsieur le député, l’honorable M. Lozé ! Voilà ce qui remplissait sa jeune imagination d’un trouble indicible et charmant.

En attendant, le futur monsieur poursuivait ses études et n’avait personne pour lui expliquer le vide de ses rêves. Comment aurait-il pu, seul, comprendre, pauvre enfant déjà pétri d’égoïsme, qu’il faisait fausse route et que des aspirations qui ont leur source dans la vanité et dans l’intérêt personnel manquent de grandeur ; qu’elles ne peuvent aboutir qu’à la bassesse, qu’elles rapetissent le talent, entravent l’action, tuent la pensée. Aussi, dans son ignorance des enseignements de l’expérience et de l’histoire, ne sachant guère juger, son admiration allait à cette écume qui flotte à la surface de la société, tristes catilinas nains à demi conscients de leur insignifiance, qui volontiers trempent dans les petites ignominies, pour atteindre la gloriole d’un instant. Feux follets sortis d’un cloaque où ils doivent bientôt retomber pour se noyer dans la fange.

Tout cela se développait dans l’âme de Lozé presque à son insu et sans qu’il en parlât à qui que ce soit. Son père,