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Robert Lozé

moins grande que celle qui la séparait d’un être tel qu’était alors Lozé. De même que l’or du filon, qui aux mains de l’artiste se transforme en bijou, peut dans la pièce de monnaie devenir immonde, l’homme peut soumettre son intelligence et son instruction, qui sont l’or, à quelque esclavage intellectuel qui les dégrade.

Lozé en ce moment-là eut conscience de la distance qui le séparait de cette femme. Quel est l’homme qui n’a pas eu de ces moments de clairvoyance intuitive ?

Il eut honte en acceptant, ne sachant comment refuser, la somme qu’elle lui tendait. Honte, non pas de l’action même qui n’avait rien de blâmable en soi. Mais il se sentait sous ce regard tranquille qui l’examinait, comme un huissier sous les grands yeux curieux des enfants dont il violente le foyer.

Du reste, ce trouble ne dura qu’un instant. L’homme qui en lui n’était que caché sous l’enveloppe du chicanier, voulut s’affirmer. Il éprouva le besoin de faire voir à cette femme qu’il n’était pas un être inférieur et grossier. C’est en ce moment que Louise était entrée. C’était l’influence de madame de Tilly qui lui avait valu, à l’insu de cette dame et peut-être de Lozé lui-même, un accueil bienveillant et à Bertrand une défense gratuite. Puis, resté seul, Lozé avait pour la première fois éprouvé le besoin de s’excuser à lui-même, et l’exclamation lui était venue : « oportet vivere ! »