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Robert Lozé

Des hommes de bien voulurent sous sa voûte dormir de leur dernier sommeil, et plus d’un nom historique fut inscrit sur ses dalles.

Il est certain que sainte Anne était satisfaite de son sanctuaire. Elle en donnait des preuves. Elle dût aussi en parler aux autres saints du paradis, car saint Louis de France vint en personne la visiter, sous la forme d’une belle statue de grandeur héroïque, en bois d’érable. On la trouva un jour flottant à vau l’eau vis-à-vis la chapelle, sans qu’on sût jamais comment elle était venue là. On la recueillit, et le saint prit place à la droite du portique, où je l’admirai souvent dans son attitude noble et austère, les mains jointes sur la croix de son épée, sentinelle couronnée montant la garde devant la mère de Marie.

Chère vieille chapelle ! Je vous connaissais si bien, j’étais tellement pénétré, dès mon enfance, du sens doux et mystique qui était en vous, que je vous aimais comme une chose appartenant à ma vie. Vous faisiez partie de mon âme au point qu’il me semblait que comme elle vous deviez être immortelle. Dans un sens j’avais raison. Vous faisiez partie de l’âme de la patrie. Malheur aux peuples qui ne vénèrent pas ces lieux où se sont répandus dans la prière tant de cœurs heureux ou meurtris ; où ont germé tant d’héroïsmes, tant de sacrifices, tant de charités, vraies grandeurs des générations évanouies…

Un jour, vint un réformateur farouche. Que Dieu lui pardonne ! Il avait des yeux, mais il ne voyait point, des oreilles, mais il n’entendait pas. Il trouva la chère chapelle trop vieillie. Elle ne lui disait rien. Elle était un hymne qui ne pénétrait pas jusqu’à son cœur. Il décrocha les saintes reliques séculaires, rasa à grand’peine les murs solides encore. Il érigea à sa place la caisse en pierre, froide, prétentieuse, hideuse, que vous avez vue… »

Le vieillard se tut sous le coup de l’émotion et ses visiteurs, émus aussi, prirent congé en parlant de revenir.