Page:Bouchette - Robert Lozé, 1903.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
Robert Lozé

Robert Lozé s’élevait lentement vers la lumière. Pour lui, la vérité commençait à se montrer à l’orifice de son puits. Comme première conséquence, il eut franchement honte de pratiques qui jusque alors lui avaient parues toutes naturelles. Il n’osait pas, il est vrai, y renoncer, de peur de tomber dans le besoin. Mais chaque jour, les jugeant dans une lumière plus vive, elles lui apparaissaient plus laides, et cela le tourmenta au point que sa santé en fut affectée. C’était un cauchemar. Il était sur le rivage d’une mer, les pieds disparaissant dans les sables mouvants. En se jetant à la nage il aurait pu se sauver, mais il n’osait se plonger dans ce bain qui l’aurait pourtant régénéré, et il sentait venir l’enlizement lent mais certain. Ce sont souvent ces moments d’angoisse morale qui décident de la destinée des hommes. Robert, prisonnier de la fatalité, réussirait-il à rompre ses chaînes ?

En janvier, madame de Tilly avait l’habitude de faire une promenade à New-York. Lozé, cherchant à oublier ses sombres préoccupations, demanda et obtint la permission de l’accompagner. Lorsqu’il pensait à cette dame, il ne parvenait pas à se rendre compte de ses propres sentiments, sauf toutefois en ceci, qu’elle lui semblait être son bon génie et qu’il redoutait vaguement son absence.

Le départ eut lieu par une belle journée d’hiver. Franchissant pour la première fois les frontières de son pays, le jeune homme prenait à cette promenade un très vif intérêt. Il dévorait des yeux au passage les nombreux centres d’activité de la Nouvelle-Angleterre ; il lui tardait de voir la métropole du nouveau monde.

Une intéressante personne accompagnait madame de Tilly. C’était madame H…, femme d’un homme en vue, laquelle offrait cette singularité dans notre pays de ne jamais parler l’anglais. Rapprochant leurs fauteuils, rejetant sur les dossiers leurs amples pelisses fourrées, sur leurs genoux des