Page:Bouchor - Les Poëmes de l’amour et de la mer, 1876.djvu/17

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Un coup de vent qui passe, un souffle d’air léger
A su déraciner la fleur de nos pensées
Et jeter dans la mer ses feuilles dispersées.
Vous souvient-il encor des derniers soirs de mai ?
Nous étions seuls, debout. Dans mon rêve abîmé,
Je regardais au loin poindre les blanches voiles
Et sortir de l’eau fraîche un riche essaim d’étoiles :
Je songeais que le monde est divinement beau
Et je sentais dans l’air sourdre le renouveau ;
Tout me semblait vivant, rochers, algues marines
Et flots voluptueux soulevant leurs poitrines —
Et vous pensiez : pourquoi nous sommes-nous aimés ?

Oui, la mer a vaincu l’amour ! Les yeux fermés,
Je revois ce passé que mon âme renie,
Et je ne comprends plus notre extase infinie.
Mais ne m’en voulez pas si j’ai tiré des morts
Notre bonheur ancien, et si j’ai sans remords
Parlé de cet amour plein de mélancolie
Dont nous ne saurons plus la sublime folie.
Ne me haïssez pas pour avoir à loisir
Ébauché dans mon deuil des rêves de plaisir
Et redit la chanson de ma vieille jeunesse.
Je pense à ce temps-là sans espoir qu’il renaisse ;
Il ne renaîtra pas, je n’ai ni sang ni cœur.
Mais si, toute une nuit, perdant cette rancœur