Page:Bouchor - Les Symboles, nouvelle série.djvu/198

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J’ai fait de toi les dieux, une légion d’êtres,
Une puissance éparse en des milliers de maîtres.
A genoux, j’ai levé mes suppliantes mains
Vers Celui qui forma les faibles cœurs humains,
Dieu qui crée et détruit, roi jaloux d’un hommage,
Et dont nous sommes l’humble et fugitive image.
Avec une ferveur pieuse, j’ai chanté
Le Principe de tout, l’ineffable Unité,
D’où les mondes en foule, impatients de vivre,
Émanent sans troubler l’extase qui l’enivre.
J’ai béni l’Être unique aux multiples aspects
Qui s’arrache à lui-même, et qui, fuyant la paix,
Souillé par le honteux baiser de la matière,
S’incarne dans un homme ou dans la race entière.
Parfois Dieu révélait à mon cœur transporté
Sa justice infaillible et sa toute bonté ;
Puis je voyais en lui le ténébreux Abîme
Sans vie et sans pensée, indifférent au crime,
La Source d’où jaillit le fleuve des vivants.
Ou, songeant à l’amour, dont les pièges savants
Enveloppent si bien les âmes les plus sûres,
Moi-même bénissant mes cruelles blessures,