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Page:Bouchor - Les Symboles, nouvelle série.djvu/206

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crois profondément antisocial. Il me semble que bien des difficultés s’aplanissent lorsqu’on renonce à interpréter d’une façon trop littérale les paroles d’un livre où il est commandé de « haïr son père et sa mère » et de « laisser les morts enterrer leurs morts ».

Plusieurs pensent, il est vrai, que le commandement de « ne pas résister au méchant », bien qu’on puisse lui opposer d’autres paroles et même certains actes de Jésus, devait, dans sa pensée, être pris à la lettre. Cela me parait fort douteux. Peut-être le précepte fut-il donné aux disciples comme applicable dans une Église naissante qui, longtemps isolée parmi une société hostile, devait agir sur elle par des voies très spéciales. Dans tous les cas, il est clair que ce commandement, pris à la lettre, exclut toute affirmation du Droit (droit des individus, des nations, de la société entière). C’est pourquoi je pense qu’il y aurait un grave péril à le suivre dans toute sa rigueur.

Si vraiment Jésus a pu le formuler comme une règle absolue, et non pas comme un simple correctif à la dureté juive, je penserais volontiers que ce fut parce qu’il croyait à la fin très prochaine du monde [1]. Alors tout change de lace. Si nous étions persuadés qu’un prodigieux cataclysme dût anéantir la race humaine avant un demi-siècle, il est vraisemblable que bien des questions aujourd’hui pendantes, auxquelles on a raison d’attacher une extrême importance, deviendraient choses d’intérêt minime.

  1. C’est l’opinion de M. Renouvier, récemment exposée dans l’Année philosophique.