Page:Boudin - La Fameuse Comédienne, 1688, édition Bonnassies, 1870.djvu/60

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der ensemble. La Moliere, qui estoit la personne du monde la plus preveneue de sa beauté, sentit quelque honte de voir que son amant luy venoit en concurrence et luy enlevoit tous ses adorateurs : elle luy en fit de cruels reproches, qu’elle prétexta du chagrin qu’elle avoit de ce qu’un homme pour qui elle faisoit paroistre de l’estime s’abandonnoit à une si horrible debauche.

Baron, tout en colere, luy respondit que ce n’estoit pas l’amour qui la faisoit parler, mais la rage de voir que, par ses assiduitez, il esloignoit tous ses rivaux ; qu’il voyoit bien qu’elle ne pouvoit plus se contenir ; que, neantmoins, il falloit prendre des prétextes de rupture plus honnestes que ceux dont elle authorisoit ses reproches ; qu’elle devoit sçavoir qu’il n’estoit pas d’humeur à la contraindre, et qu’il luy promettoit de ne jamais mettre d’obstacle à l'envie qu’elle avoit d’estre coquette. Ils se dirent encore plusieurs choses outrageantes, et ne laissèrent pas de se raccommoder avant de se quitter, mais ce fut pour peu de tems, car la jalousie que le merite inspire fait des ennemis irréconciliables, de sorte que leur première antipathie devint plus forte qu’auparavant.

Moliere eut quelque satisfaction de les voir desunis, et reprit pour Baron, malgré son ingratitude, ses soins accoustumez, mais pourtant avec moins d’attache. La certitude où il estoit