Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/100

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chaleur du temps et celle de ma tête me tourne le sang ; j’ai l’esprit plein d’affaires, que je ne peux pas faire, parce qu’il faut écrire ou dicter et que ni la main ni ma raison ne sont à mes ordres. Encore si tu étais là pour adoucir mes maux et pour fortifier mon courage ! Mais nous sommes à mille lieues. N’importe ; je te serre dans mes bras parce que le véritable amour est au moins aussi bien partagé que la véritable amitié, qui, selon Montaigne, a les bras assez longs pour embrasser du bout de l’univers.


Ce 1er juin. — Le temps va son train, les heures, les jours, les semaines, les mois, les années se succèdent et le destin varié des hommes marche à leur suite ; un jour m’a fait disparaître, un jour me ramènera, car ce sont les jours qui font tout le bien et tout le mal que nous éprouvons. Tout ce qui arrive n’est que le résultat de diverses combinaisons, dont nous croyons quelquefois être les agents et dont nous ne sommes jamais que les patients ; nous ne faisons pas plus notre bonheur et notre malheur, que les arbres ne font le printemps qui les fleurit et l’hiver qui les effeuille. Voilà mon hiver qui avance, mon printemps reviendra quand le joli petit astre qui me réchauffera sera plus près de moi.


Ce 2. — Je vois ce bon M. Blanchot occupé de tous les préparatifs de son passage en France et je suis réduit à lui envier en secret le bonheur que je lui procure. Nous devons partir après-demain ensemble pour Gorée ; j’y passerai par mer, parce que le cheval serait encore une torture pour moi, et, comme je viens d’acheter toute la charge d’un gros navire commandé par un gros capitaine américain