Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/99

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Mais ce premier retour de mes faibles facultés ne doit point être pour toi ; je le dois à mes sottes affaires, que depuis huit ou dix jours je remets au lendemain, suivant le proverbe grec ; tu imagines bien que ces affaires-là n’avaient rien de bien agréable, car sans cela j’aurais trouvé des forces pour m’en occuper. Mais quand ce que j’écris ne s’adresse point à toi, aussitôt mes douleurs me reprennent. Adieu, chère moitié, mille fois plus chère que l’autre.


Ce 30. — Voici mes quarante-neuf ans qui sonnent, ma bonne épouse, et je me porte comme si j’en avais quatre-vingt-dix-neuf, car j’ai besoin d’un bras pour m’asseoir et pour me lever et j’ai les deux mains emmaillotées comme un vieux goutteux. Cependant on a si bien arrangé l’appareil de la main droite que pour la première fois j’écris sans douleur, ce qui me fait espérer que l’abcès est crevé et que je vais rentrer dans la jouissance de mes droits et de mes doigts. Mais j’en reviens à ces quarante-neuf ans ; comme ils sont venus vite, quoique souvent le temps m’ait paru bien long ! C’est que le temps n’est long que lorsqu’il est vide d’événements et que l’esprit est plein de désirs ; mais quand ce temps est écoulé et que ces désirs sont évaporés, il ne reste rien dans la mémoire, et ce vide même, qui faisait trouver le présent plus long, fait trouver le passé plus court. Mais je me perds dans la métaphysique bien mal à propos, car j’ai bien affaire et j’aurais bien mieux fait de t’embrasser, comme le peut un pauvre absent, qui fait tout en esprit et rien en réalité.


Ce 31. — Les douleurs qui avaient été suspendues un petit moment ont recommencé de plus belle ; la