Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/102

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Ce 4, à 5 heures du matin. — Je vais passer la barre avec mon ami Blanchot ; elle est si belle que je t’y verrais promener sans frayeur ; cela me fait penser à notre passage du Rhin où tu oubliais le danger à côté de moi. Que ce temps-là et le Rhin sont loin.


Ce 5, à bord du « Généreux ». — Mon enfant, je suis tenté de croire que la petite aventurière est ta fille grandie d’un demi-pied, amincie d’autant, âgée de quatre ou cinq ans de plus et ne sachant plus un mot de français ; mais ce sont les mêmes grâces, les mêmes manières, les mêmes traits, les mêmes cheveux, les mêmes couleurs, etc. La traversée serait charmante si ce pauvre M. Blanchot et presque tous mes autres compagnons n’étaient point malades à la mort ; je le suis un peu moi-même, non pas de la mer, mais d’avoir voulu faire le bon compagnon et d’avoir déjeuné avec toutes sortes de drogues, comme oies, poulardes, dindons, jambons, bœuf salé, etc., et d’avoir bu quinze ou vingt sortes de vin sans une goutte d’eau, car elle est infecte. Adieu, ma fille, je vais me coucher dans une chambre charmante, dont le lit est d’une largeur presque nuptiale. Il servait aux deux voyageurs. Il y aurait plus de place qu’il ne t’en faudrait, mais j’aime encore mieux penser au lit bleu, parce que la mémoire, comme dit Locke, est une sensation continuée.


Ce 6, à Gorée. — Nous arrivons à bon port, tout le monde est guéri, excepté notre gros capitaine, qui s’est trouvé un peu incommodé après dîner et qui a pris sur-le-champ quatre gros grains d’émétique pour se remettre. Cela me faisait penser à ce