Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/132

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bananiers, qui à la vérité ne donnent pas de fruits et bornent toute leur utilité à servir de retraite à mes ennemis. Je ne puis rien fermer chez moi, ni jour ni nuit, parce que j’étoufferais, je puis encore moins, par la même raison, me servir de moustiquaire ; en sorte que je suis sans rempart et sans armes contre ces vilains animaux-là, qui finiront par te manger tout ton mari. Je compte ce soir ou demain faire tendre ma tente au haut de la montagne dans un lieu bien aride et j’espère par là leur donner le change, à moins que l’escadron qui voltige autour de ma plume ne lise ce que je t’écris et n’aille m’attendre là-haut. Ils sont bien assez malins pour cela, car je suis tenté de croire que moins on a de corps plus on a d’esprit, parce qu’il rencontre moins d’obstacle, comme chez toi. Adieu, je te baise comme je suis baisé par les cousins.


Ce 15. — Ma pauvre enfant, on a fait hier une opération terrible à un pauvre homme, qui se mourait d’une obstruction au foie. On a supposé un abcès et l’on y a porté le fer ; l’abcès a été effectivement trouvé et l’on en a tiré une quantité effroyable de pus ; mais on craint de s’y être pris trop tard et que le malade ne fût trop affaibli pour supporter le remède. Tu n’imagines que trop toutes les idées qui sont venues dans mon esprit ; mais tout ce que j’ai vu m’a rassuré au lieu de m’alarmer. Les signes de ces maux-là sont si évidents et si différents de tout ce dont tu te plains, qu’il est impossible qu’il y ait aucun rapport. Je n’en suivrai pas moins de point en point le traitement de ce malheureux, d’abord par charité et puis par cet intérêt caché que tu m’inspires pour tout ce qui souffre. Adieu, ma femme ;