Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/131

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fidélité qui me rend décent ou la décence qui me rend fidèle, mais je sais qu’après avoir été autrefois sur ce point-là le chevalier sans peur, je suis aujourd’hui le chevalier sans reproche et faute d’avoir trouvé en Afrique d’Annibal ni de Carthage, je pense qu’il ne me reste à imiter de Scipion que sa continence. Mais parlons de toi, mon enfant ; j’attends avec impatience un nouveau vaisseau, qui m’apportera sûrement des nouvelles de ce mariage si désiré, si différé, si nécessaire. Après tout ce que tu as éprouvé, je ne saurais te peindre l’occupation où j’en suis ; c’est pourtant quelque chose pour toi de penser que tout ce qui t’affecte retentit à mille lieues et que tu as encore une âme qui t’appartient au milieu des pays les plus barbares.


Ce 14. — J’ai toujours d’assez bonnes nouvelles à te donner de ton mari, ma chère femme ; mais elles seraient encore meilleures si le sommeil ne lui était pas absolument refusé et c’est une terrible privation au physique et au moral. Car comment vivre sans repos au milieu des fatigues et sans répit au milieu des ennuis ? Nous verrons s’il y a quelque moyen de le supporter ou d’y remédier. Mes plus fâcheux ennemis sont les maringoins, qui s’attroupent autour de moi comme autour d’une lumière et ils forment au-dessus de mon lit et de ma table des nuages à couper au couteau. Ils me couvrent le corps d’ampoules et s’attachent particulièrement à mes sourcils et à mes paupières. En sorte que ce matin, sans avoir pu fermer les yeux de toute la nuit, j’avais peine à les ouvrir. Je suis de ce côté-là le plus malheureux de la colonie, parce que ma triste demeure est entourée d’arbres et de plantes, entre autres de