Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/15

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je n’en suis même pas tout à fait exempt, mais c’est plutôt du malaise que de la souffrance, et quand ce serait une vraie souffrance, ce ne serait pas encore une vraie maladie. Je crois que je serai fort bien dans ma traversée ; le capitaine et le lieutenant sont des gens charmants, pleins de grâce, d’instruction, d’esprit et de politesse ; enfin, je doute que, sur tout autre vaisseau, j’eusse trouvé aussi bonne compagnie. Je relâcherai deux jours à Madère, et de là j’irai voir s’il y a encore quelqu’un en vie au Sénégal ; et je compte, peu de jours après, aller jeter les fondements d’un nouvel empire au cap Vert, dont la capitale sera nommée de ton nom futur. Adieu, ma femme ; j’aime à me représenter le plaisir que me fera ce congé, que je dois recevoir avant la fin de l’année. Avec quelle joie, avec quelle ardeur je ferai les préparatifs du voyage ! avec quelle impatience je franchirai les mers ! une fois à terre, comme je volerai vers toi ! Tout cela se fera dans un an. Je serais tenté de prendre de l’opium d’ici là, mais mon devoir dormirait trop ; d’ailleurs, tant de bonheur mérite bien d’être acheté par quelque peine, et surtout par quelques succès. Le mariage d’Hercule ne s’est fait qu’après ses douze travaux. Adieu. Je t’aime comme un père, comme un enfant et comme un fou. Embrasse Mmes  d’Andlau et de la Mark de ma part ; tu comptes sur la seconde et tu as bien raison, mais tu aurais bien tort de ne pas compter sur la première, car elle t’aime, quoi que tu en dises, à la vie et à la mort. Adieu.


Ce 25. — Nous venons d’essuyer une tempête horrible, mon enfant ; par bonheur le vent, au lieu de nous être contraire, nous était favorable ; mais