Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/152

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en France. Cependant je m’embarquerais dessus pour aller t’embrasser.


Ce 18. — Comme le bâtiment n’est point encore parti, je profite du petit moment qu’il me laisse pour te dire encore une fois que je t’aime comme un fou et que je me porte comme un Turc et que la saison est superbe et que je viens de monter à cheval à la grande terre, ce qui prouve que tout ce qu’on dit des maladies et des ouragans perpétuels des automnes de ce pays-ci est un tas d’exagérations, que les marchands inventent pour effrayer ceux qui voudraient venir et que les officiers répètent pour avoir des gratifications et des congés.

Ainsi prends confiance, ma bonne femme, s’il est vrai que tu la sois encore, et ne crains pas en m’aimant que je ne puisse point te le rendre. Adieu.

Que le temps est long, ma femme, surtout quand la chose qu’on attend n’a point d’époque fixe et qu’on n’est pas même sûr du moment, à trois mois près. Je viens de voir partir ce pitoyable navire, qui te porte de mes nouvelles et je pense que d’ici à deux mois ces gens-là seront morts ou qu’ils verront ce qu’ils aiment. Moi d’ici à deux mois ni je ne serai mort ni je ne te verrai ; je suis donc plus à plaindre qu’eux, car la mort n’est rien, comme le dit Sénèque et comme je le vois tous les jours. La mort n’est rien et l’amour est tout. Adieu, tu ne mérites point un mari comme celui que tu oublies.


Ce 19. — Je viens de voir un bien triste spectacle : c’est une tempête affreuse, qui a fait briser les câbles d’un vaisseau marchand mouillé dans la rade et qui le pousse vers la côte du continent. Le vaisseau est