Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/151

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faire bien souvent mes pâques. On travaille pour autrui, disait Virgile à Auguste dans des vers que tu connais sûrement et où Sic vos non vobis est si souvent répété. Mais on a raison de travailler pour les autres, puisqu’il est clair que les autres ont travaillé pour nous. Si l’on ne pensait jamais qu’à soi on ne serait bon à rien même pour soi ; c’est ce qui fait que je pense toujours à ma jolie femme.


Ce 15. — Je deviens bête dans ce pays-ci, ma chère femme, d’abord parce que je suis loin de toi qui es mon esprit, et puis parce qu’on ne peut ni lire ni écrire ni causer de choses intéressantes et que mille petits soins plus petits encore et moins doux que des soins de ménage absorbent tout mon temps. Mon esprit est circonscrit comme mon corps, l’un ne sort point de l’enceinte de l’île et l’autre reste dans l’enceinte des affaires de l’île. Mais il viendra un jour où l’un et l’autre franchiront les mers et reviendront trouver auprès de toi tout ce qui leur manque.


Ce 16. — Je suis bien occupé d’expédier la gabare la Boulonnaise, mais comme je ne me fie point à ce bâtiment-là, que je crois infecté de très mauvais air et dont tout l’équipage est malade, je réserverai une partie des lettres que je t’ai écrites pour te les envoyer par la Duchesse de Lauzun, que je ferai partir à la fin du mois. Adieu.


Ce 17. — C’est ce soir qu’elle part, cette Boulonnaise, mais sous de tristes auspices : elle laisse des mourants, elle embarque des malades et j’ai bien peur que tout ne soit dans l’autre monde avant d’être