Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/155

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Ce 22. — Tout est calme de ce moment-ci, sur terre, sur mer et dans les airs ; aussi le vaisseau n’avance-t-il point ; mais il est en sûreté et le premier souffle le ramènera. Il fait beaucoup d’eau et l’on doute qu’il puisse être conservé ; c’est bien assez que les hommes et les choses soient sauvés et les débris vendus. Ce petit événement-ci a beaucoup relevé nos actions dans ce pays-ci et contribuera un peu à inspirer de la confiance aux négociants français. Je ne suis point fâché non plus que cela se soit passé sous les yeux de nos gens de Cayenne, pour qu’ils en rendent compte chez eux, car ton mari n’a point encore assez épuré ses motifs pour que la vanité ne soit pas de quelque chose dans le peu de bien qu’il peut faire. Nos défauts ne nous quittent point : ils partagent dans toutes nos actions même avec nos vertus ; ils sont comme les oiseaux et les mouches, qui lèvent toujours un droit sur la vendange. Et comment pourrais-je me corriger de la vanité tant que tu m’aimeras ?


Ce 23. — Il paraît que la mauvaise saison nous fait bien sincèrement ses adieux ; l’air s’épure, les vents reprennent leur ancienne direction et je vois que le nombre de nos malades diminue au lieu d’augmenter. Ainsi, ma femme, rassure-toi de moment en moment et prépare-toi à revoir ton gros mari absolument le même au dehors et en dedans. Ce qui me fait le plus souffrir, c’est la suite d’un panaris dont j’ai dû te faire le triste récit dans le temps, et comme la partie d’ongle qui me manquait revient, mais revient mal, elle m’entre dans les chairs et depuis deux ou trois jours m’incommode beaucoup, surtout quand j’écris, car tu verras que c’est préci-