Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/172

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ton joli portrait et que le lui promets d’aller bientôt te rejoindre.


Ce 25. — Il y a sur ce vaisseau un jeune homme très aimable et très instruit ; c’est le neveu de l’abbé Morellet, qui retourne aux Indes pour y faire quelques articles du grand dictionnaire de son oncle. Je ne me suis point ressouvenu de mes anciennes querelles avec cet abbé et j’ai traité son neveu comme le fils d’un ami. Cette troupe de passagers et ces trois Suédois me font un renfort de dix convives, qui, joints à vingt que j’ai habituellement, sont très difficiles à bien nourrir ; tantôt le bois, tantôt la viande, tantôt le vin nous manque. Mes provisions sont épuisées et mes ressources s’épuisent, mais on voit tant de gens épuisés, à commencer par la France, qui n’en meurent point, que j’espère m’en tirer aussi ou du moins végéter jusqu’à ce que j’aille mourir et revivre et puis vivre et mourir dans les bras de ma jeune femme. Adieu.


Ce 26. — Nous avons entre nos Suédois un grand partisan d’un certain Swedenborg, dont tu m’as souvent entendu parler, qui a fait un traité du monde, de l’homme, de Dieu, du paradis, de l’enfer, des génies de tous les ordres et des habitants de tous les astres. Ce Swedenborg regarde le monde comme un grand homme et l’homme comme un petit monde. Je n’ai point encore conversé avec le disciple, mais je viens de lire de lui un discours dont je suis fort content. Il regarde le mariage comme l’image, la source et le but de la société ; il dit que le genre humain sera plus ou moins heureux à proportion que le mariage sera plus ou moins en honneur, que