Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/23

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comme un beau jour. Nous serons plus libres tous les deux. Tu seras loin de tout ce qui t’agite ; je serai loin de tout ce qui m’inquiétait ; et nos chers projets, ces projets qui me font trouver l’absence si longue et qui me donnent en même temps la force de la supporter, ils commenceront alors à prendre une consistance que nous n’avons pas jusqu’à présent osé leur donner. De toutes mes entreprises voilà la seule intéressante, et si elle réussit, que m’importent les autres ? J’aime à y penser, quoique de loin, parce qu’il me semble que chaque pas m’y conduit, et que je puise dans cette idée-là le courage dont je n’ai que trop de besoin.

Adieu, ma femme ; ton pauvre mari est toujours souffrant ; mais il y a dans tout cela un peu plus de maux de nerfs que de dérangement de santé. Tu n’imaginerais pas une de mes manies, c’est une aversion inexprimable pour l’odeur résineuse du sapin ; et dans les logements et dans les meubles du vaisseau, c’est le seul bois qu’on emploie. Les tables, les lits, les armoires, les tablettes, tout est de sapin. J’en souffre encore plus que je n’en suis dégoûté, et je n’ose point le dire, parce que cela paraîtrait ridicule et ne servirait à rien.

Je sens qu’il n’y aurait qu’un remède, ce serait de t’avoir auprès de moi ; je te mettrais entre moi et tout le reste, et je ne me plaindrais plus.

Adieu, bonne et chère femme. Je dois t’ennuyer à la mort de tous mes petits détails personnels ; mais songe que je suis un vieux mari en herbe, et qu’il faut t’accoutumer d’avance à mes infirmités et à mes radotages. Adieu.


Ce 1er de l’an 1787. — Voici le nouvel an, ma