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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/26

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sieurs chaînes de rochers énormes dont la dernière cime se découpe à l’horizon comme les créneaux ruinés d’un ancien rempart de géants, et qui de droite à gauche étendent deux pointes brunes vers la mer. Au bas de l’enfoncement est une belle ville, blanche comme un monceau de lis, qui me donne l’idée d’une jeune fille qu’un monstre hideux et démesuré tiendrait entre ses bras de fer. La scène se passe au milieu d’une mer tranquille dont l’eau transparente offre la contre-épreuve du tableau. Je ne finirais pas si je voulais conter tout ce que j’ai vu ce soir, et tout ce que je verrai demain. Contente-toi de savoir qu’à chaque instant je t’appelais intérieurement pour te montrer quelque chose de nouveau ; et j’aimais à me représenter la force et l’agilité que l’enthousiasme t’aurait données pour gravir les escarpements, franchir les ravins et t’élancer comme un petit chamois de pointe en pointe de rocher, sans t’embarrasser de l’âge ni de la pesanteur de ton vieux mari. La journée a fini par une éclipse totale de lune ; c’était pour moi l’image des chagrins qui ont troublé ta sérénité, mais qui finiront et qui te rendront à ton éclat ordinaire. Adieu, ma femme ; je t’aime comme jamais Endymion, ni même Actéon n’ont aimé la lune. Tu m’as quelquefois trouvé aussi dormant que le premier ; mais tu ne me traiteras pas pour cela aussi mal que le second, n’est-ce pas, ma femme ?


Ce 4. — Le mauvais temps se lève, il faut renoncer à mes projets et partir.


Ce 5 janvier. — Me voici encore en mer, mourant de migraines et de tous les genres de mal-être que