Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/39

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puis quelques jours ma réflexion se porte sans cesse sur le changement perpétuel des choses de ce monde : les hommes, les animaux, les plantes, tout se détruit et se remplace ; les idées se renouvellent au dedans, les objets au dehors, les noms, les lieux, les lois, les mœurs ne restent les mêmes nulle part, la nature et la société ne peuvent rien faire de stable. Moquons-nous de tout cela, ma bonne femme, et ne changeons jamais que pour devenir époux d’amants que nous sommes encore et puis amants d’époux que nous serons. Adieu.


Ce 23. — C’est toujours la même chose, et puis encore la même chose ; je travaille sans faire et j’attends sans recevoir. Il est impossible de te peindre l’état misérable auquel on avait réduit ce pauvre petit pays-ci, comme par un projet formé de faire mourir tout le monde de faim. Ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est que ces pauvres diables s’y étaient si bien accoutumés, qu’ils ont à peine l’envie de changer d’état et que je suis sûrement plus empressé qu’eux de les voir rétablis. Il faut bien faire quelque chose, en attendant que nous nous revoyions, ma chère femme, et il vaut mieux faire du bien que du mal.


Ce 24. — Je crois que le travail et l’inquiétude me font le même effet que l’ennui sur les femmes, car depuis quelques jours j’ai retrouvé la force, la santé et le sommeil, et tu me reverras au moins le même, à une dent près, que je viens de me casser, et à un œil près, que les fourmis viennent de me manger ; le peu qui en reste ne vaut pas la peine d’en parler, car il est diminué des trois quarts de ses anciennes