Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/56

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je les donnerais tous les quatre, et quatre escadres en sus, pour une petite nacelle qui m’apporterait une petite lettre de toi. Je ne te parle pas de tes affaires domestiques ; ce n’est pas que je n’y pense sans cesse, mais je m’en distrais autant que je le puis, parce que c’est une inquiétude de plus, à laquelle il n’y a de remèdes que ceux qui viendront de toi.


Ce 26. — Comme tout est long, mon enfant ; il semble que les choses prennent toutes la marche de la génération. L’esprit a conçu dans l’instant ; de là à la première existence apparente de l’ouvrage, il faut un long intervalle. L’ouvrage une fois commencé a de lents accroissements ; il éprouve dans le cours du travail des retards, des contretemps, des échecs qui l’empêchent souvent de parvenir à son point de perfection. Ce point une fois atteint, il décline bien vite ; l’esprit créateur et l’esprit conservateur qui s’étaient intéressés à lui l’abandonnent ; il tombe sous la faulx du temps et sous le fléau du hasard, et, comme l’homme, il meurt tout à fait et pour toujours, après n’avoir vécu qu’à moitié, et qu’un moment. Voilà ce qui arrive et ce qui arrivera pour ces petits travaux qui me donnent de si grandes peines. Le pire de tout c’est que ces peines-là sont prises loin de toi, les petits succès qui me consoleraient de temps en temps, perdent tout leur prix, car le plaisir diminue en s’éloignant de toi comme la chaleur en s’éloignant du feu.


Ce 27. — J’attends de jour en jour et de moment en moment ce pauvre Villeneuve que j’ai laissé au Sénégal pour y faire les emplettes nécessaires à ses grandes entreprises et je frémis toujours que sur