Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/57

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cette maudite route de terre il n’ait fait de mauvaises rencontres. Ma tête est pleine d’embarras et mon esprit d’inquiétude ; je ne vis pas le jour et je ne meurs point la nuit, ce qui serait au moins une douceur, car cette mort passagère appelée sommeil est vraiment une invention divine pour rendre la vie supportable. Quand te verrai-je pour te conter tout cela et pour nous en consoler ensemble ? Adieu ; je lève les yeux vers ton portrait ; il me semble qu’il prie en ce moment avec un redoublement de ferveur.


Ce 28. — Voici un mois qui finit ; je lui sais bien bon gré de n’avoir que vingt-huit jours ; je voudrais que tous les autres fussent recoupés sur le même patron jusqu’au moment où l’aimé rejoindra l’aimée, à condition pourtant que de ce moment-là les choses seraient remises sur l’ancien pied et même qu’on ferait servir toutes les rognures. Mais les César, les Ptolémée, les Grégoire le Grand, enfin tous ceux qui se sont mêlés de calendrier et tous ceux qui s’en mêleront auront beau faire : ils ne bâtiront point de digues sur le fleuve du temps, ils ne feront point d’écluses le long de son cours. C’est une eau à laquelle on ne peut point pratiquer de retenues et à qui on ne peut point donner de chasse. Laissons-la donc courir et n’armons point notre volonté contre la nécessité, pour ne pas éprouver toute la vie le plus triste des sentiments, celui de l’impuissance. C’est là ce qui me déplaît le plus et c’est pour cela, je crois, que je désire tant te revoir. Entends-tu ou n’entends-tu pas ?


Ce 1er mars. — Je viens de faire une course assez rapide. Je suis parti à sept heures du matin en piro-