Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/61

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nous est devenu contraire et que le courant nous ramenait à la mer, mais nous espérons à la première marée pouvoir mouiller en face du comptoir. C’est une triste vie que celle-ci, car on est forcé d’attendre bien longtemps les choses les plus indifférentes et l’on est tourmenté d’impatience comme si les choses en valaient la peine. Il n’y en a qu’une de vraiment bien intéressante et je l’attendrai bien longtemps, mais enfin le moment viendra, car le temps a cela de bon c’est qu’il vient à nous. Ainsi, par son moyen, chère femme, nous allons l’un vers l’autre.


Ce 9. — Enfin j’y suis dans ce superbe établissement si digne de la grandeur et de la magnificence française. Imagine une mauvaise hutte de paille, entourée à quelque distance de quelques paillassons déchirés, dans laquelle je trouve trois ou quatre pauvres diables qui ont la mort entre les dents. Point de marchandises, point de bateau, point de poids ni de mesures et surtout point de crédit ni de considération dans le pays. Après avoir pris les renseignements nécessaires, je pourrai bien tout détruire, car il me paraît que l’établissement est en pure perte pour le roi. D’ailleurs, tout le cours de la rivière est aux Anglais, qui, avec les manières les plus nobles et les plus amicales pour nos marchands, voient notre misère d’un œil malin. Mais qu’est-ce que tout cela ? un mauvais rêve qui doit durer un an et après lequel je me réveillerai entre tes bras.


Ce 10, à Albréda. — Notre pauvre résident en guenilles n’est pas plus habile qu’opulent ; je viens de recevoir ses comptes, c’est un chaos dont le bon Dieu pourrait seul se tirer, car le Diable ne s’en ti-