Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/66

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Ce 20. — Aucune, aucune espérance. Les choses sont au point que je médite déjà sur les moyens de retourner à Gorée par terre, afin de n’être pas loin des ordres qui pourraient me parvenir. Car enfin, si la guerre se préparait à l’insu des gens de Paris, si on m’en donnait l’avis, je ne le recevrais point et je pourrais à mon retour trouver ma colonie prise, ou m’y trouver pris au dépourvu. Mais aussi c’est voir les choses trop en noir. Cependant, cela est possible, et il ne me conviendrait pas d’y survivre. Écartons tout cela, pensons à toi, souvenons-nous de tout ce qui nous promet le retour, le mariage et le bonheur.


Ce 21. — J’ai pris le parti de revenir en face de mon comptoir, parce que les vents y sont un peu plus rompus par les terres et les courants un peu moins rapides, en sorte que nous sommes moins exposés à voir d’un moment à l’autre casser nos câbles, et à courir sur nos ancres sans savoir, ou toujours prêts à échouer sur des bancs dont la rivière est jonchée. Tu ne connais pas tous ces dangers-là, chère enfant, et cependant tu les cours. Nous venons de remédier à l’eau ; à force de culbuter nos barriques, nous avons trouvé de l’eau de France, couleur de café, mais sans mauvaise odeur ; et c’est un grand point. Du reste, rien n’égale la violence des vents et des courants. Mais nous sommes plus en sûreté ici que dans tout autre point de la rivière. La lune est changée d’hier ; elle amènera peut-être quelque changement, mais les gens qui essaient de me le faire espérer ne l’espèrent point. Adieu, aime-moi ; cela me portera bonheur.


Ce 22. — Nous avons eu ce matin un moment