Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/65

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et de supporter le reste ; l’essentiel est de sortir d’ici. Voici le premier exemple qu’on y ait été retenu si longtemps, mais les premiers exemples sont faits pour moi. Au milieu de tout cela, je pense à toi comme Ceyx et j’espère te revenir en meilleur état que lui.


Ce 18. — Toujours et toujours la même chose ; les vents et la mer sont en furie, et, tant que cela durera, il nous est aussi impossible de sortir d’ici que de la Bastille. Je me rappelle avec bien de la peine non pas tout ce que j’ai, mais tout ce que je sais en philosophie pour soutenir mon guignon. Mais l’humeur et la colère prennent toujours le dessus et par malheur ont toujours le dessous. Les vents sont nos maîtres et leur empire est d’autant plus fâcheux qu’on ne peut jamais prévoir leur volonté. Enfin, tu n’es pas ici ; ce n’est point à toi que je vais dans ce moment-ci ; ainsi le mal est moins grand que si tu le supportais ou que s’il me privait de te voir un jour plus tôt.


Ce 19. — Je crois que ne n’en sortirai plus, ma chère enfant. C’est précisément le grand coup de vent de l’équinoxe qui dure quelquefois six semaines avec plus ou moins de force, dans la même direction, c’est-à-dire la plus contraire. Il faut plier sa volonté, lorsqu’elle n’a point la force de faire plier l’obstacle. Ce qui m’affecte le plus, c’est que, selon toute apparence, pendant que je me désole ici, il m’arrive de tes lettres à Gorée, en sorte que je suis loin de toi et de la seule chose qui puisse adoucir mon exil. Encore une fois supportons, comme dans les comédies de Goldoni, pazienza.