Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/70

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Ce 28. — Mon état continue ; je n’ai point dormi depuis trois jours, j’éternue mille fois par heure avec une douleur et une fatigue affreuses, j’ai les membres rompus et les yeux épuisés, toutes mes idées se brouillent, il me semble que je ne puis plus rien vouloir, rien espérer, rien arranger, que je suis condamné à une stupidité et à des larmes éternelles. Mon âme s’est si bien ressentie des souffrances de mon corps que souvent je me surprends dans des accès de pusillanimité dont je rougirais devant tout autre que ma femme et quelquefois, quand je suis seul, je ne sais pas si c’est de chagrin ou de rhume que je pleure. Adieu, je te baise pour me consoler et je t’inonde des larmes de mon rhume en attendant celles de la joie.


Ce 29. — Je vais un peu mieux, mais point encore bien, car il me reprend à chaque instant des fontes qui sont comme des queues d’orage et qui prouvent que le temps a bien de la peine à se remettre au beau. N’importe, je jouis, comme Socrate, d’une moindre souffrance et je la prends pour un bienfait. Nous approchons beaucoup de notre but et nous commençons à voir des oiseaux et des poissons, qui nous annoncent que nous ne sommes pas à plus de quarante lieues de terre. Cela serait bientôt franchi si le vent, à l’exemple de mes chevaux, ne mollissait au bout de la carrière. Au reste, je lui pardonne à condition que cela ne lui arrivera pas à mon retour en France. Adieu, ma jolie femme, je sens que je te reverrai et cela me fait du bien.


Ce 30. — Nous sommes au calme à la vue du plus beau paysage des quatre parties du monde ; nous