Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/80

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Ce 15. — Nous faisons nos quatre ou cinq lieues par jour, encore n’est-ce pas en bonne route. La chaleur extrême causée par la position du soleil à notre zénith presque sous la ligne, nous abat tous, depuis le premier jusqu’au dernier. Cette chaleur occasionne le calme et le calme ajoute à la chaleur. Nous attendons avec impatience la nouvelle lune d’après-demain pour amener quelque révolution dans le temps, sans quoi je ne sais ce que nous deviendrons. Nous vivons de viande salée depuis quinze jours. J’ai à bord une petite chèvre pleine et un petit mouton que je réserve pour nos malades, quand nous en aurons de sérieusement attaqués. Il ne reste plus que deux poules à nos officiers qui sont huit à table. Le beurre, l’huile, les légumes confits, le fromage, etc., sont à leur fin ; le vin se tourne, l’eau se gâte, la farine s’aigrit, et le temps ne change pas. Mais Detella soutient seul mes esprits abattus, car il aurait menti si je n’existais plus après quelques travaux : il me promet la gloire, il me fait espérer un prix encore plus doux, tu sais qu’il nous a dit que nous serions époux : voilà le vrai prophète en qui nous devons croire.


Ce 16. — Aucun changement, à moins que ce ne soit en mal, car chaque jour ajoute à notre détresse et à notre découragement. Cependant pour la première fois depuis notre départ nous avons pris du poisson et c’est une nourriture fraîche qui fera du plaisir et du bien à tout le monde. Mais du vent vaudrait encore mieux et l’horizon n’en annonce point. N’importe ; il faut savoir souffrir et tâcher de ne pas s’impatienter avant sa mort. Adieu, chère femme, aime-moi pour me porter bonheur.