Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/81

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Ce 17. — Voici la lune arrivée, mais le vent n’est point à sa suite. Les savants de campagne disent qu’il faut attendre la centième heure ; mais cette centième heure pour des malheureux aussi découragés que nous est une centième année. En attendant nous prenons toujours du poisson, ce qui égaie notre équipage et retarde les maladies. Pour moi, je suis obligé de rassembler tout ce que je puis avoir de force et de raison pour ne pas me désespérer, quand je pense qu’avec un bon vent je pourrais lire une de tes lettres dans trois jours et que ce bon vent se fera peut-être attendre un mois.


Ce 18. — Point d’espoir de changement ; nous bataillons avec le vent et le vent bataille avec nous comme deux champions qui s’observent, qui s’épient, qui lisent dans les yeux l’un de l’autre et qui semblent rester immobiles en cherchant à se deviner et à profiter de la première occasion. S’il vient un souffle d’un côté nous pensons à nous en servir et nous orientons nos voiles ; à peine les voiles sont-elles orientées, que le vent se tourne et nous oblige à une autre manœuvre ; en attendant nous pâtissons et moi je n’ai point encore tes lettres.


Ce 19. — Je ne sais que te dire ; je n’ai de courage que pour les gens qui lisent sur mon visage, mais toi qui lis dans mon cœur, toi pour qui mon âme est aussi à découvert que pour moi-même, tu n’y verrais que de l’abattement et de la consternation. Aussi pardonne-moi de ne t’en pas dire davantage, car je ne ferais que t’affliger.


Ce 20. — Voilà un petit souffle propice, mais si petit, si petit qu’il n’a vraiment que le souffle, car à