Page:Boufflers - Oeuvres - 1852.djvu/248

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Mais je suis combattu : dis-moi, ferai-je bien ?
— Pourquoi non ? puisqu’elle t’adore.
Ami, le cœur est tout, et les yeux ne sont rien ;
S’ils servent quelquefois, ils nuisent plus encore.
— Moi j’ignore si c’est par raison ou par air,
Mais je désirerais que ma femme vît clair.
— Pour moi, ce n’est pas mon système ;
Pourvu qu’on soit aimé, qu’importe qu’on soit vu ?
Et dans un bon auteur j’ai lu
Qu’en mariage il est d’une prudence extrême
D’épouser une aveugle ou de l’être soi-même. »
Il me donnait un bon avis ;
Mais souvent d’un mauvais on ne peut se défendre.
Au bout de quelque temps je dis :
Si quelqu’un à ma place allait un jour se rendre,
Ma femme pourrait s’y méprendre
Faute de cet utile sens
Qui sert à distinguer les époux des amants.
Je connais ma femme, elle est tendre ;
Et, tant que son époux lui serait inconnu,
Elle pourrait l’aimer dans le premier venu.
Pour éviter le cocuage,
Je prétends donc que ma moitié
M’apporte avec son amitié
Un œil ou deux en mariage.
Il faut des yeux dans un ménage ;
Il faut des yeux, sans doute, et ma femme en aura.
Dites-en, mon ami, tout ce qu’il vous plaira.
Oui, trop aimable enfant, le ciel m’était propice,
Même en te refusant le jour ;
Il fermait tes beaux yeux pour que je les ouvrisse ;
Tes yeux ne devaient être ouverts que par l’amour :
Après vingt ans de nuit ils verront la lumière ;
Demain tu jouiras d’un nouveau sentiment ;
Les rayons du matin frapperont ta paupière ;
Le jour naitra pour toi des mains de ton amant.