Page:Boufflers - Oeuvres - 1852.djvu/249

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Le cœur plein d’espérance, et de crainte, et de zèle,
J’essayai des le lendemain.
On eût dit que l’Amour sur les yeux de la belle
De sa main conduisait ma main.
Le tissu délicat de sa faible prunelle
Se sentit agité soudain
D’une vibration nouvelle :
Pour la première fois, de la voûte éternelle
La lumière descend dans ses yeux éperdus.
Il s’ouvre dans son âme une porte de plus ;
Un nouveau monde naît pour elle.
Elle me voit, me fixe, et jette un cri d’horreur,
Puis lorgne mon ami : « Qu’est donc ceci ? lui dis-je.
Me fuirais-tu ? Par quel prodige,
En te donnant des yeux, ai-je perdu ton cœur ?
Quand tu reçois un nouvel être,
Devais-je en attendre ce prix ?
Ah ! si je ne puis plaire à des yeux que j’ouvris,
Ton oreille du moins devrait me reconnaître. »
Elle ne répond qu’à demi,
Et lorgne toujours mon ami.
« Non, non, je vois bien ta méprise ;
C’est moi que ton œil cherche en lui.
— Je suis, répondit-elle, également surprise
D’entendre et de voir aujourd’hui.
Il est des traits que dans mon âme,
Avant d’ouvrir mes yeux, l’amour avait gravés :
Ils faisaient mon bonheur, ils nourrissaient ma flamme ;
Mon cœur les a bien conservés.
Cette image si chère à mon âme charmée,
C’est en lui seul que je la vois ;
Et c’est de vous que vient la voix
Qui m’apprit que j’étais aimée.
— Mais tu me répondais… mais tu m’embrassais… Mais…
— Pardonnez, une aveugle a bien droit de confondre ;
Quand je vous répondais je croyais lui répondre.