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Ah ! vous pouvez lui dire à quel point je l’aimais.
— Mais ne m’es-tu pas fiancée ?
— Je le suis à quelqu’un. C’est un fait bien certain.
Mais, quand je vous donnais la main,
À lui je me donnais au fond de ma pensée. »
L’infidèle soutient son dire mordicus,
Ainsi qu’on le soutient d’ordinaire aux cocus,
Puis après elle ajoute, avec un air honnête :
« Entre vous deux, messieurs, je dois prendre un parti,
Et ne puis prendre qu’un mari ;
Ainsi pour lui ma main avec mon cœur est prête,
Je la dois à lui seul, s’il la veut recevoir ;
Quant à vous, je vous dois le bonheur de le voir ;
Comme un ami commun vous serez de la fête.
Je l’aimais en vous ; aujourd’hui
Je vais vous épouser en lui. »
Les cornes à ces mots me viennent à la tête.
Je sors de la maison, et je cours en tous lieux
Pour fuir, ou pour crever, si je puis, tous les yeux.
Les malheurs du bon oculiste,
Ami lecteur, vous apprendront,
Si vous êtes bon moraliste,
À laisser les gens tels qu’ils sont.



LA FILLE ET LE CHEVAL[1].


Dans un sentier passe un cheval
Chargé d’un sac et d’une fille ;

  1. Le chevalier de Boufflers avait fait six vers sur les rimes de ce conte. « On le défia d’en faire trente de la même manière : il l’acheva en quarante-quatre, et composa ce badinage piquant, où l’on ne sent ni la gêne ni la contrainte des bouts-rimés. » (Mémoires secrets de la république des lettres, par Bachaumont, à la date du 30 avril 1785).