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BOUFFLERS.

plaisir, et le plaisir plus grand d’en donner à ce qu’on aime.

Le temps, qui semblait avoir cessé d’exister pour nous, suivait sa marche pour le reste de la nature ; et le soleil, incliné vers l’horizon, rappelait les bergers à leurs cabanes et les troupeaux à leurs étables : l’air retentissait du son des cornemuses et des chants des travailleurs qui retournaient au repos. — Il est temps que je m’en aille, dit Aline, car ma mère me battrait. Je respectais encore ma mère dans ce temps-là : je n’eus pas l’esprit de la désabuser du respect qu’elle avait pour la sienne. — J’ai perdu mon lait et mon honneur, ajouta-telle, mais je vous le pardonne. — Allez ! lui dis-je, vous êtes plus blanche que votre lait, et le plaisir vaut mieux que l’honneur. Je lui donnai le peu d’argent que j’avais sur moi et un anneau d’or que je portais au doigt : elle me promit de ne jamais le perdre. Nos visages, toujours collés l’un contre l’autre, se séparèrent humides de larmes et de baisers. Je remontai à cheval, et, après avoir suivi aussi loin que je pus, des yeux, ma chère Aline, je fis mes derniers adieux aux lieux consacrés par mes premiers plaisirs, et je revins au château de mon père, bien fâché de n’être point un petit paysan du hameau d’Aline.

J’avais bien résolu de ne plus aller à la chasse ailleurs que dans ce charmant vallon, et de faire grâce, en faveur de la belle Aline, à tous les gibiers de la province ; mais ces projets, si chers à mon cœur, s’évanouirent comme un songe. J’appris en arrivant que des nouvelles imprévues forçaient mon père à partir le lendemain pour Paris. Il m’emmena avec lui. J’embrassai ma mère en pleurant, mais c’était Aline que je pleurais.

Le temps ronge l’acier et l’amour : j’étais inconsolable