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ALINE.

en partant ; je fus consolé en arrivant. À mesure que je m’éloignais d’Aline, Aline s’éloignait de mon esprit ; et la joie d’entrer dans un monde nouveau me fit oublier les délices de celui que je quittais. Le libertinage et l’ambition remplacèrent Aline dans mon cœur, et, après six pénibles campagnes, dans lesquelles je reçus de grandes blessures et de petites récompenses, je revins à Paris me dédommager, dans le service des belles, de tout ce que j’avais souffert au service de l’État.

Sortant un jour de l’Opéra, je me trouvai par hasard à côté d’une jolie femme qui attendait son carrosse : après m’avoir regardé avec attention, elle me demanda si je la reconnaissais ; je lui répondis que j’avais le bonheur de la voir pour la première fois. — Regardez-moi bien, dit-elle. — L’ordre n’est pas dur, répondis-je, et votre visage saura bien vous faire obéir ; mais, plus je vous regarde, plus je trouve de différence entre tout ce que j’ai vu jusqu’à présent et ce que je vois à cette heure. — Puisque mes traits ne me rappellent point à votre souvenir, dit-elle, peut-être que mes mains seront plus heureuses. Alors, ôtant son gant, elle me montra l’anneau que j’avais jadis donné à la petite Aline. L’étonnement m’ôta la parole. Son carrosse arriva. Elle me dit d’y monter avec elle, je la suivis. Voici son histoire :

— Vous vous souvenez peut-être encore de mon pot au lait et de tout ce que je perdis avec lui. Vous ne saviez ce que vous faisiez ni moi non plus ; mais je sus bientôt que c’était un enfant : ma mère s’en aperçut aussi, et me chassa de la maison ; je m’en allai demandant l’aumône à la ville voisine, où une vieille femme me retira. Elle me servait de mère, et je lui servis de nièce ; elle eut soin de me parer et de me produire : je répétais souvent par son ordre les leçons que vous m’aviez données ;