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ALINE.

ne connais, lui dis-je, que l’anneau de Salomon qui puisse avoir cette vertu. — Connaissez-vous celui d’Aline ? dit-elle en souriant et en montrant sa main ; Aline que vous avez fait monter sur le trône de Golconde, et que vous en avez fait descendre ; qui, fugitive et proscrite, est venue chercher dans des lieux éloignés un asile contre la colère de son mari, à laquelle vous échappâtes en sautant par la fenêtre.

— Quoi ! c’est encore vous ? m’écriai-je ; je suis donc bien vieux, car j’ai, si je m’en souviens, un an plus que vous ; mais il est impossible d’avoir un an plus que votre visage. — Qu’importent, dit-elle d’un ton grave, notre âge et notre figure ? Nous étions autrefois jeunes et jolis : soyons sages à présent : nous serons plus heureux. Dans l’âge de l’amour, nous avons dissipé au lieu de jouir ; nous voici dans celui de l’amitié, jouissons au lieu de regretter. Il n’est que des moments pour le plaisir, et le bonheur peut remplir toute la vie ; ce bonheur si désiré et si méconnu n’est que le plaisir fixé. L’un ressemble à la goutte d’eau, et l’autre au diamant. Tous deux brillent du même éclat ; mais le moindre souffle fait évanouir l’un, et l’autre résiste aux efforts de l’acier. L’un emprunte son éclat de la lumière, l’autre porte la lumière dans son sein et la répand dans les ténèbres ; ainsi tout dissipe le plaisir, rien n’altère le bonheur.

Ensuite elle me conduisit vers une haute montagne couverte d’arbres fruitiers de différentes espèces ; un ruisseau d’eau vive et claire descendait de la cime en faisant mille détours, et venait former un réservoir à l’entrée d’une grotte creusée au pied de la montagne. — Voyez, me dit-elle, si cela suffit à votre contentement ; voilà ma demeure : elle sera la vôtre si vous le voulez. Cette terre n’attend qu’une faible culture pour vous